In memoriam Thomas Zins, Céline Schaller et leurs enfants

24 brindilles pour une modeste couronne

Olivier Rey

 

Il tourne sa face vers le ciel, d’un bleu pur. De ses entrailles monte un sanglot rauque. Pourquoi ? Pourquoi ? Quel crime irrémissible Céline et lui ont-ils bien pu commettre pour que leur soit retiré un tel bonheur ?

          « Bon an mal an, on trouve toujours un roman pour lui accorder le qualificatif de chef-d’œuvre. Et quand, un jour, le vrai chef-d’œuvre apparaît, il n’y a presque personne pour le signaler. » Ainsi s’ouvrait le numéro que la revue L’Atelier du roman consacra, un an après sa publication, au livre de Matthieu Jung, Le Triomphe de Thomas Zins. « Il fallait préserver de l’oubli ce travail colossal où se combinent originalité formelle et plaisir romanesque avec une maîtrise extraordinaire » : il le faut toujours. Non seulement pour rendre à l’œuvre les honneurs qu’elle mérite, mais aussi, et surtout, pour chauffer notre âme sensitive et intellective à ses rayons. Le temps s’en va, Le Triomphe de Thomas Zins demeure.

1. « Le réel, c’est quand on se cogne », a dit Lacan. Enfin non, Lacan n’a pas dit cela, pas vraiment en tout cas, il a dit quelque chose de plus compliqué, de plus lacanien, dont on discute dans des séminaires où des exégètes de la pensée du maître s’excommunient les uns les autres au nom des contresens abyssaux imputés à leurs adversaires. Contentons-nous de la version grand public : « Le réel, c’est quand on se cogne. » Cela correspond assez bien à ce que l’on éprouve à la lecture du Triomphe de Thomas Zins. La question la plus souvent posée à propos des romans – « T’as aimé ? » – n’a ici guère de sens. Comme s’il s’agissait d’aimer ou de ne pas aimer. Le Triomphe de Thomas Zins, c’est un bloc de réel auquel on se cogne. Pas un livre « coup de poing », comme aiment les magazines qui confondent le réel avec l’intensité des stimuli (aussitôt chassés par d’autres stimuli). Le Triomphe ne cherche pas à faire impression, il ne tire pas son lecteur par la manche : c’est le lecteur lui-même qui va se heurter au récit qui lui est fait.

2. À la dernière page du livre, Céline Schaller, le premier et seul amour de Thomas Zins, se demande : « Quand je mesure l’écart entre le garçon tendre et bon qu’il était à seize ans et ce débris qui [huit ans plus tard] peinait à ouvrir la porte coupe-feu [du Mammouth], j’ai beau réfléchir à m’en faire bouillir la caboche, me creuser la cervelle pendant des nuits entières à pas dormir, vous savez, quand je pense à cet effondrement, quand je regarde tout ce malheur, tout ce gâchis, toute cette destruction, comment notre vie nous a échappé, c’est malheureux à dire, mais vingt ans après, je ne comprends toujours pas ce qui s’est passé ». Le lecteur qui arrive au terme du livre partage la même perplexité, le même désarroi. Mille quatre-vingt-dix-sept pages (en édition Points Seuil), sans un paragraphe qui aurait mérité d’être coupé, pour ne pas comprendre. Nulle invraisemblance pourtant : de page en page, les événements s’enchaînent de façon plausible. Localement, on comprend. Globalement, cela aboutit à un résultat qui défie l’entendement. Céline encore : « … au fond de moi j’ai longtemps continué à rêver qu’un jour Thomas allait revenir me chercher. Oui, oui, j’étais persuadée qu’après les années sombres il allait réussir à reprendre le dessus, suivre de brillantes études, et qu’on allait se marier, lui et moi, et même refaire un enfant, qui nous aurait réconciliés avec la vie, comme une rivière retrouve son lit après le grain et la crue » (1096). C’est exactement cela. On voit Thomas s’enfoncer, descendre toujours plus bas. Mais jamais, à aucun moment, on ne se dit que le naufrage est inéluctable. Dans la plupart des romans de Balzac, une première partie décrit par le menu les protagonistes de l’histoire, leur caractère, leurs penchants, leurs forces et leurs faiblesses, leurs vertus et leurs vices. Dans la seconde partie, l’histoire suit son cours – un cours auquel les éléments exposés dans la première partie assignent une fin inéluctable. Le Triomphe offre une configuration inverse : étant donné les éléments de départ, il était inconcevable que cela tournât ainsi. Et pourtant, c’est ce qui se produit.

3. Dans L’Homme révolté, Camus dit de la vie humaine qu’elle est un mouvement qui court après sa forme. Une forme, c’est précisément ce que le roman donne à la vie de ses personnages : « Le monde romanesque n’est que la correction de ce monde-ci, suivant le désir profond de l’homme. Car il s’agit bien du même monde. La souffrance est la même, le mensonge et l’amour. Les héros ont notre langage, nos faiblesses, nos forces. Leur univers n’est ni plus beau ni plus édifiant que le nôtre. Mais eux, du moins, courent jusqu’au bout de leur destin. » Le problème, avec Thomas Zins et Céline Schaller, c’est que le destin qu’ils accomplissent n’est pas le leur. Voilà le monstrueux dans ce qu’ils vivent : non pas le malheur – après tout, comme il est dit dans Homère, « les Parques ont fait aux hommes un cœur apte à pâtir » ; mais le fait que ce malheur-là leur était si peu destiné. Faut-il, alors, incriminer le hasard ? Un désastreux concours de circonstances ? Nous n’avons pas affaire, cependant, à un fait divers, nous avons affaire à un roman. Dès lors, l’explication par le hasard malencontreux ne nous laisse pas quittes. Du fait même qu’elles font roman, les vies de Thomas Zins et Céline Schaller ont une forme. Mais la forme, ici, est paradoxale : elle revient à constater que les vies de Thomas et Céline manquent la forme qu’elles auraient dû avoir – vont se perdre dans l’informe.

4. Le lecteur du Triomphe n’a pas accès à autre chose que ce que les personnages sont à même de se formuler à eux-mêmes. Il ne les domine jamais, il les accompagne. C’est ce qui les lui rend si proches. C’est aussi ce qui fait qu’à la fin, il n’en sait pas plus qu’eux sur les raisons de leur malheur et se trouve amené, comme Céline, à réfléchir « à s’en faire bouillir la caboche » pour comprendre ce qui s’est passé. Quand même, il dispose d’un élément que les personnages n’ont pas : la phrase de Baudelaire placée en exergue du roman. « Toute révolution a pour corollaire le massacre des innocents. »

5. Thomas Zins a connu des jours heureux, de février 1984 à juillet de la même année. Le samedi 22 février, il couche pour la première fois avec Céline, chez elle, à Laxou, banlieue de Nancy. Au mois de juillet, en vacances à Saint-Gilles-Croix-de-Vie, il croise la route de Jean-Philippe Candelier. Céline, à distance, comprendra très vite le danger que représente cet « écrivain parisien à la con » : « Je l’aime pas, lui, il lui met des mauvaises idées dans la tête » (474). Thomas ne tardera pas à s’en faire lui-même le constat : « Depuis Jean-Phi, on dirait que tu es malheureux vingt-quatre heures sur vingt-quatre » (569). Le vecteur du mal est donc bien identifié. Le mystère cependant, au lieu de s’éclaircir, s’épaissit : par quel prodige Candelier (j’ai personnellement du mal à l’appeler Jean-Phi, comme il demande tout de suite à son « jeune ami nancéien » de le nommer), en vient-il à exercer une influence aussi puissante que destructrice sur Thomas Zins ? On ne peut pas dire que son physique l’avantage. La première fois que Thomas le voit, à la terrasse d’une buvette, le jugement à l’égard de cette « erreur de la nature » est ravageur : « Faut voir l’engin… Vieux, gras, chauve. Chaussé d’une paire d’espadrilles grises. Vêtu d’un short noir trop court et d’une chemisette bleu ciel d’où, par les trois premiers boutons du haut, qu’il a laissés ouverts, dépassent des poils grisonnants. Quoique ample, le vêtement comprime les seins flasques et le bide rebondi » (343). Seulement voilà : le « gros lard pitoyable » sait y faire. Il va profiter du désœuvrement de Thomas et de son camarade pour engager la conversation, puis se faire mousser en tant qu’artiste aux nombreux talents – dessinateur, comédien, réalisateur de téléfilms et, surtout, écrivain. Ce statut d’écrivain, qui fait rêver Thomas, et l’entregent parisien dont Candelier fait étalage, comme s’il était à tu et à toi avec les vedettes (à propos de Renaud et de Marc Lavoine : « Je te les présenterai, si tu veux » (352)), sont les coins qui vont lui permettre de s’immiscer dans la psyché de l’adolescent. En vérité, ce qu’il fait miroiter à Thomas ne se concrétisera jamais – il ne s’agissait que d’appâts, que le gamin a eu la naïveté de gober. Plus tard, Thomas continuera de faire comme si, contre toute évidence, Candelier allait lui mettre « le pied à l’étrier ». En réalité, cette perspective n’agira plus comme une cause, déterminant Thomas à poursuivre ses relations avec l’« écrivain », elle ne sera plus qu’un prétexte, de moins en moins crédible, permettant à Thomas de justifier à ses propres yeux la poursuite desdites relations. Il n’est plus libre de rompre avec Candelier, son surmoi le lui interdit. Et cela, pour la bonne raison que Candelier est devenu son surmoi.

6. Le « gros lard pitoyable », installé sur le trône surmoïque : aussi stupéfiant que cela soit, le fait est incontestable. Thomas voulait voir en Candelier celui qui lui permettrait de faire triompher son moi ; en fin de compte, le voici qui répète servilement, comme la poupée d’un ventriloque, les paroles de son maître. À Paris, Candelier lui a dit : « Les gens font des enfants par lâcheté. Ils espèrent échapper au néant, en se continuant dans un autre être » (767). À Nancy, Thomas déclare à Céline : « Ce sont les lâches qui font des enfants. Pour éviter de vieillir seuls et pour se distraire de la terreur que la mort leur inspire » (923). Quand, un jour, Céline ose s’en prendre à « ce connard de vieux pédé ! » de Candelier, Thomas reçoit ces mots comme un sacrilège : « D’une démarche de robot, il s’avance vers elle. Son poing droit part – un direct au menton. Elle tombe à la renverse. Elle se roule en boule contre une plinthe, redoutant qu’il ne l’achève à coups de talon, mais, la surplombant, il se contente de la menacer de l’index. — Jamais plus tu parles de Jean-Phi sur ce ton, t’as compris ? Jamais ! » (938-939). Lorsque Thomas, à bout de ressources, se traînera chez une psychiatre, il lui dira : « Il y a cette voix, toujours en surplomb de moi, qui m’injurie et qui me moque. Si je me mettais en couple avec Céline ou avec n’importe quelle autre femme, la voix retentirait plus fort encore. Je me sens complètement incapable de me mesurer à elle. Quels que soient mes efforts, elle aura toujours le dernier mot » (1066). Cette voix surmoïque et tyrannique est celle de Candelier. À propos de qui la psychiatre, à force de patience, a réussi à arracher à Thomas quelques renseignements. Lorsqu’elle signale à Thomas que si Candelier et son ami Francis ont eu des rapports sexuels avec des mineurs de moins de quinze ans, « ils auraient pu avoir maille à partir avec la justice, parce que le Code pénal l’interdit », Thomas se ferme comme une huître : « En lui serrant la main, il évita son regard, résolu à ne jamais plus remettre les pieds dans le cabinet de cette pure salope, qui avait calomnié Jean-Phi sans même le connaître. Force est d’en convenir, Jean-Phi ne se trompe jamais : pour la femme, tout est loi » (1067). Il devrait plutôt dire : la vraie loi, c’est Jean-Phi.

7. L’alcoolisme dans lequel Thomas s’abîme fournit un autre indice de la position de surmoi occupée par Candelier. Si Thomas boit, c’est que seule l’ivresse le fait échapper à l’emprise de « Jean-Phi » et de ses sarcasmes. Or, on le sait, le surmoi est précisément ce qui, du psychisme, est soluble dans l’alcool. Délicieuse impression qui l’envahit la première fois que, lui qui détestait l’alcool, il enchaîne les bières : « Il se sent redevenu lui-même, enfin » (670). L’étau candelieresque se desserre. Plus tard, c’est seulement sous l’emprise de l’alcool que, « sidéré par son audace », il trouvera le courage de rembarrer Candelier au téléphone. Mais le lendemain matin, ivresse enfuie, le surmoi revient en force : « Sa rébellion de la veille lui a procuré une satisfaction intense mais, à mesure que se dissipent les vapeurs de l’alcool, il comprend que cette plaisanterie va lui coûter très, très cher, car il va falloir maintenant se triturer les méninges pour trouver la meilleure façon de présenter à Jean-Phi de plates excuses » (816). Un autre moment de clairvoyance lui sera donné lors d’un bref séjour à l’hôpital, où l’on doit réparer son nez fracturé. Sous l’emprise des substances qu’on lui a injectées pour dissiper la douleur et le faire dormir, il envisage enfin les péripéties qui ont marqué les trois dernières années de sa vie sous le jour qui leur convient : « Tourmentée par sa libido désordonnée, une vieille tapette affamée de chair fraîche a usé de manigances pour parvenir à ses fins. Pourquoi ressasser plus longtemps ces événements pitoyables ? Candelier le minable devrait lui inspirer plus de compassion que de haine » (959). Dans le monde à l’envers où Thomas se débat, ce sont les produits réputés altérer la lucidité qui lui rendent, éphémèrement, un peu de lucidité, ce sont les hypnotiques qui le sortent de l’hypnose.

8. Que Candelier ait atteint la position de surmoi explique qu’aucun fait ne soit plus en mesure de l’en déloger. Au départ, Thomas a été ébloui d’avoir affaire à un écrivain. Cependant, Candelier est à la littérature ce que le pâté pour chat est à la gastronomie. Cela, un adolescent dont on sait, dès la première page du roman, qu’il lit William Styron, ne peut l’ignorer. Pas une fois il ne sera question de ce que Thomas pense des livres publiés par Candelier. Et pour cause : il devrait alors reconnaître que cela ne vaut rien. Or cela, il doit à tout prix l’éviter. Dans un premier temps, pour pouvoir continuer à se bercer de la perspective d’avoir rencontré un véritable écrivain, qui va le « lancer ». Ensuite, parce que Candelier en tant que surmoi lui interdit de dire du mal de Candelier en tant que plumitif – alors que jusque dans ses courtes lettres, Candelier trahit sa nullité littéraire, et que Thomas, sensible qu’il est à la langue, ne peut faire autrement que de relever les fautes dont elles sont émaillées. Gombrowicz écrit dans son Journal : « L’art, ce n’est pas de fabriquer des romans minables pour les faire lire ; c’est un commerce spirituel, quelque chose de tellement intense… » ; et : « Mon genre de littérature n’est pas de ceux que l’on peut cultiver sur un coin de table. » Mais cela, c’est exactement ce que fait Candelier. Dans une scène hallucinante on le voit, parce qu’il est « affreusement charrette », torcher à la machine les dernières pages d’un roman qu’il doit envoyer à son éditeur avant la fin de la matinée, sans que cela l’empêche, en même temps, de discuter avec Thomas. Au terme d’une dernière salve sur le clavier il s’écrie : « Point final ! Ouf, pas trop tôt » (618). À un autre moment il professe : « Écrire, de toute façon, c’est faire la pute, alors autant la faire jusqu’au bout ! » (762). Thomas est choqué (il ne voyait pas Balzac ou Styron en putes), mais quelques minutes plus tard, il n’en déclare pas moins : « Tu es mon père spirituel. » Au type qui, à Noël, n’a rien trouvé d’autre à lui offrir que Life à Hollywood. Candelier s’esclaffe : « Je voudrais surtout devenir ton père incestueux ! » (763). À ce moment, il n’a même plus besoin de sauver les apparences : le surmoi ne cherche pas à séduire, il commande. Mais comment pareille chose a-t-elle pu arriver ? Comment se fait-il que l’« erreur de la nature » ait pris ses quartiers dans le surmoi de Thomas ?

9. Thomas Zins est né à la fin de 1967, Céline Schaller en mai 1968. Autrement dit, l’un et l’autre ont grandi dans un monde bouleversé par la révolution des mœurs initiée dans les années 1960. Depuis deux millénaires, le monde occidental vivait courbé sous un horrible faix : la culpabilité judéo-chrétienne. Le temps était venu de jeter les interdits par-dessus bord, de se LI-BÉ-RER. Plus de culpabilité ? Plus de surmoi ? Les choses ne sont pas si simples.

          Généralement, le surmoi est conçu comme l’agent de la société dans la psyché individuelle, l’instance interne qui impose au sujet les règles et les interdits sociaux, et le plonge dans l’angoisse et la culpabilité s’il y contrevient. Telle quelle, pareille conception n’est pas sans lien avec les fables modernes sur un état de nature où les hommes auraient vécu isolés, avant d’aliéner une partie de leur liberté afin de vivre en société : la surveillance par le surmoi serait le tribut à payer pour la vie en commun. Parmi les nombreuses choses négligées dans cette histoire, le fait que nous avons tous été enfants avant que d’être hommes. Freud parle, pour évoquer l’état du petit enfant, de Hilflosigkeit, de la détresse, de l’incapacité à se porter secours à soi-même qui le rend dépendant, pour de longues années, des êtres qui prennent soin de lui. Cette dépendance explique la force des liens qui se tissent entre l’enfant et ses parents, en même temps que l’ambivalence des sentiments à leur égard. D’un côté les parents, sources de tout bien, sont intensément aimés. D’un autre côté, il arrive que les parents ne répondent pas aux besoins ou aux désirs de l’enfant. Soit parce qu’ils s’y refusent, soit, le plus souvent, par incapacité – mais l’enfant, du fond de son impuissance, imagine ses parents tout puissants, ce qui l’incline à attribuer à leur mauvaise volonté tout malaise dont ils ne le soulagent pas. En résulte, à leur encontre, des pulsions agressives très puissantes. Celles-ci ne sauraient cependant se donner libre cours, d’une part par manque de moyens (ce qui ne fait qu’aggraver la frustration éprouvée), d’autre part, et surtout, parce que dans la dépendance qui est la sienne, l’enfant doit absolument continuer à être aimé de ses parents – seule garantie à la poursuite de leurs soins. L’enfant doit donc, de lui-même, afin de ne pas perdre l’amour de ses parents, réprimer jusqu’à un certain point les pulsions agressives qu’il éprouve envers eux. Ainsi apparaît le surmoi. Non pas induit, donc, par la violence effectivement exercée par les parents sur l’enfant, mais par la violence dont l’enfant lui-même se sent habité. « La sévérité originelle du surmoi, écrit Freud dans Le Malaise dans la culture, n’est pas – ou pas tellement – celle qu’on a connue [du père] ou qu’on lui impute, mais bien celle qui représente notre propre agression contre lui. » Dans cette lignée, Lacan affirme une primauté du refoulement sur la répression : ce n’est pas la répression pulsionnelle imposée par les parents qui induit le refoulement, c’est parce que, de lui-même, l’enfant refoule certaines pulsions que la répression aura prise sur lui. Autrement dit la société, avec ses règles et ses interdits, n’implante pas de force dans l’individu un surmoi, elle investit une instance déjà présente. Elle n’engendre pas le surmoi, elle en modifie le contenu. Primitivement, le surmoi est peuplé de monstres dévorants – ce que seraient les parents s’ils étaient animés, envers leur progéniture, d’une violence comparable à celle qu’il arrive à l’enfant de ressentir à leur égard, et à la mesure de leur surpuissance. Au fur et à mesure que l’enfant grandit, les choses évoluent. Le surmoi, selon Freud, « consiste toujours en représentations intériorisées des parents et autres symboles d’autorité ; mais il est important de bien distinguer entre les représentations qui émanent d’impressions archaïques, pré-œdipiennes, et celles formées à partir d’impressions ultérieures, et qui reflètent donc une appréciation plus réaliste du pouvoir parental. » Les monstres dévorants disparaissent-ils ? Sans doute rôdent-ils toujours, mais ils abandonnent le devant de la scène au profit de figures plus civilisées – intériorisations des instances parentales en tant que représentants d’une loi qui s’applique à tous. Pensons à l’Orestie. Oreste est poursuivi par les terribles Érinyes, dont la violence répond à la violence qu’il a lui-même exercé contre sa mère. Il faudra le tribunal institué par Athéna pour le délivrer de cette traque sauvage. Les Érinyes ne disparaissent pas, elles se retirent dans une grotte qui ouvre sur les flancs de la colline où siège le tribunal. On a là une bonne image du passage du premier surmoi, peuplé de monstres vengeurs, au surmoi de la conscience morale et de la loi.

10. On parle de la voix de la conscience. Quelles étaient, en Occident, les principales instances qui faisaient entendre une telle voix ? Tout en haut, lointaine mais garante des autres, il y avait la parole de Dieu. Elle ne se fait plus guère entendre. Normal, depuis le temps qu’on nous en avertit : Dieu est mort, et le christianisme est la religion de la sortie de la religion. Ladite sortie a mis du temps à s’accomplir mais, apparemment, on en voit le bout : dans Le Triomphe de Thomas Zins, la déchristianisation atteint son stade terminal. Quand la grand-mère de Thomas annonce, le 24 décembre, qu’elle va se rendre à la messe de minuit, son petit-fils lui demande : « “C’est pour quoi faire, la messe de minuit ? — Eh bien… c’est pour célébrer la naissance du Christ ! — C’est qui, le Christ ? — Mais, mon lapin… C’est notre Seigneur Dieu fait homme, descendu sur terre pour y racheter les péchés du monde.” Pauvre mamie… En plus, on dirait qu’elle y croit » (131). Le père de Thomas a été baptisé, il est allé au catéchisme, il a fait sa communion. Mais il a choisi, pour ses enfants, de rompre le fil multiséculaire. Dieu, la religion : direction le bac vert, déchets non recyclables.

11. Après Dieu, venaient les pères. Eux aussi sont en fâcheuse posture. On sait que l’enfance de Serge Zins, le père de Thomas, s’est déroulée en Indochine, « à cause de son père, un connard de militaire, suppôt de la tyrannie coloniale » (20). Les renseignements de Thomas sur le sujet s’arrêtent là. Quand Céline l’interroge sur le lieu de naissance de son grand-père, il répond : « Aucune idée. — Ton père ne te parle jamais de lui ? — Non » (1006). Dans un premier temps, on s’interroge sur les raisons de la présence, dans la première partie du roman, des chapitres qui évoquent la conduite du chef d’escadron Paul Zins, et la résistance dont il fit preuve face aux supplices que lui infligèrent les Japonais à Saïgon, après leur coup de force de mars 1945. Pourquoi ces passages, alors que les événements relatés, ignorés de son fils et de son petit-fils, n’ont aucune incidence sur la vie de Thomas Zins ? Précisément en raison de cette absence d’incidence. Ce qui auparavant s’enchaînait n’est plus que juxtaposé, les générations vivent séparées les unes des autres.

          C’est avec le père de Thomas que la trame des temps se rompt. Lourde responsabilité, dont on voit le poids toujours dénié revenir tourmenter Serge Zins aux approches de la cinquantaine, l’âge où son propre père est mort. Les Érinyes, encore : ravaler son père au statut de « connard de militaire », consommer la rupture avec le monde dont on est issu est l’équivalent d’un meurtre, qui amène les vieilles Harpies à ressortir de leur grotte pour le tourmenter sans relâche. « Le jour où il dépassera l’âge auquel son père a cassé sa pipe, il lui semble que le néant va le happer, que, comme l’astronaute de Kubrick, il va dériver dans le vide intersidéral, et qu’il est promis à une errance infinie, plus effroyable que la mort » (406). Il faut des rangements ordonnés par sa femme pour que Serge Zins découvre, sur un faire-part de décès, que son père avait obtenu la médaille de la Résistance, et qu’il apprenne, par une copie du livret militaire, que quelques semaines seulement après être sorti, plus mort que vif, des geôles nippones, le commandant Paul Zins fit preuve d’une extrême vaillance pour sauver ceux qui pouvaient l’être des massacres dont Saïgon fut le théâtre en septembre 1945. « De quels bois ces gaillards se chauffaient-ils. Où puisaient-ils cette endurance ? » (1055), se demande son fils. Sans doute d’avoir encore été inscrits dans une généalogie, familiale et historique, qui demandait qu’on rendît son sang pur comme on l’avait reçu. « Plus nous avons de passé derrière nous, plus (justement) il nous faut le défendre ainsi, le garder pur », écrit Péguy dans Notre Jeunesse. Si la mémoire de Paul Zins avait été présente dans la famille, Thomas aurait opposé davantage de résistance aux manœuvres d’un Candelier.

          Fin 1986, lors d’une manifestation contre la loi Devaquet, des étudiants profitent de l’occasion pour exprimer leur ferveur antiraciste. « “Première, deuxième, troisième génération !” scandent […] cinq ou six filles en jean et Kickers. Fous d’extase, une dizaine d’abrutis leur répondent : “Nous sommes tous – des enfants d’immigrés !” — Pourquoi ils disent ça ? demande Benoît. — J’en sais rien. — C’est des immigrés, tes grands-parents ? — Ben non » (868). De fait, jusqu’à une date récente, la plupart des Français avaient des siècles de francité derrière eux. Factuellement faux, le « tous enfants d’immigrés » a néanmoins quelque chose de juste : les « souchiens » sont désormais aussi dépourvus de racines que s’ils avaient été plantés la veille.

          Serge Zins, son cinquantième anniversaire passé, retrouve quelque équilibre. Il se consacre à son potager, fait pousser des batavias. « Regarder les minuscules graines qu’il sème devenir des pousses qu’il repique et arrose, puis des salades superbes qu’il récolte et lave, l’emplit d’une satisfaction enfantine » (1052). Pour son fils, les choses sont plus compliquées.

12. Après Dieu et les pères, restent les institutions. On peut dire qu’elles non plus ne sont pas  en grande forme. Fait minuscule, mais significatif : la manie qui se répandit parmi les partisans de Mitterrand, à la fin de son premier septennat, d’appeler celui-ci « Tonton ». Thomas est ulcéré : « Ces gens sont-ils atteints de sénilité précoce, pour affubler de ce grotesque et puéril sobriquet le président de la République française – lequel, ô stupéfaction, ne s’insurge pas contre cette inconvenance ? » (1024). On comprend son exaspération. Dans le désert de paternité où il est contraint d’errer, même le lointain titulaire de la « magistrature suprême » rend son tablier. D’une certaine manière, « Tonton » laisse le champ libre à Candelier.

          Une seule fois, Thomas pourra compter sur l’ordre établi : lorsqu’il ira voir le censeur du lycée afin de faire cesser les dérouillées que Norbert Schaller administre à sa fille. Pour le reste, l’institution scolaire part en lambeaux. En attestent, entre autres, les deux exercices de mathématiques mentionnés dans le roman, d’une simplicité atterrante. Celui qui ouvre le chapitre XXIII de la deuxième partie, par exemple. Pour tout n entier strictement positif, on définit un par :

un = 1 + 1/2 + 1/3 + ... + 1/n

On demande de calculer u1, u2, u3, et de montrer que la suite des un est croissante. La première question qui commencerait à justifier qu’on aille suivre des cours de mathématiques au lycée serait de montrer que un tend vers l’infini quand n tend vers l’infini (et par la même occasion, que un/ln(n) tend vers 1 quand n tend vers l’infini). Mais cela, manifestement, il ne faut pas y songer : Thomas, en classe de première scientifique, juge l’exercice tel qu’il est posé « plutôt costaud » (529). Pensez : calculer 1+1/2+1/3 = 11/6, et écrire un+1 - un = 1/(n+1) > 0 !

          Dans cette Bérézina de l’instruction, les établissements scolaires sont moins des lieux de transmission du savoir qu’une scène où, jour après jour, les membres d’une même classe d’âge sont rassemblés afin de s’affronter dans une lutte sans merci pour le prestige. Un semblant d’enseignement sert de décor. Les costumes, en revanche, sont d’une grande importance – ce qui nous vaut, tout au long du roman, une mention obsessionnelle des « marques » de vêtements et de chaussures. Ces marques profitent du désert symbolique où les jeunes sont amenés à grandir pour s’offrir en nouveaux repères auxquels arrimer leur identité flageolante. Enfin, une fois la scène mise en place et les costumes distribués, se déploie la compétition souveraine, la compétition sexuelle. Un jour que Thomas arrive plus en retard encore que d’habitude au cours de physique, le professeur l’interpelle : « Eh bien, Thomas, on bat tous les records, aujourd’hui ! Monsieur a trop prolongé la sieste ? — Ah, non, m’sieur, je dormais pas, je couchais avec ma copine » (594). Le professeur en question est trop dépressif pour sévir. De toute façon, la force est du côté de Thomas. Au lycée, la baise est la matière reine.

13. Si les figures traditionnelles du surmoi sont en déroute, faut-il en conclure que le surmoi lui-même s’efface ? Nullement, dès lors qu’il n’y a pas plus de psychisme humain sans surmoi que de corps humain sans cœur ou sans poumons. Que se passe-t-il donc quand le discours social, au lieu de prôner un certain refoulement pulsionnel, prône « l’éclate » ? Eh bien, le surmoi ne disparaît pas ; il enjoint de s’éclater. Il n’est que de penser aux slogans les plus emblématiques de mai 68 : « Vivre sans temps mort, jouir sans entraves », « Soyez réalistes, demandez l’impossible », « Prenez vos désirs pour des réalités », « Je décrète l’état de bonheur permanent »… Autant de mots d’ordre, d’injonctions. Naturellement, à côté du surmoi ancienne mouture et de ses prohibitions, le surmoi nouvelle version qui dit Jouis ! paraît fort sympathique. À l’usage, il se révèle plutôt usant. Si en effet, naguère, le sujet avait bien du mal à être en règle avec la loi, maintenant il a bien du mal à jouir comme il le devrait.

          Le petit enfant, en compensation de son impuissance réelle, cultive des fantasmes de toute-puissance. C’est ce qu’on appelle la mégalomanie infantile – normalement destinée à régresser au fur et à mesure que la puissance d’agir augmente et que l’intérêt se porte sur ce qui peut effectivement être réalisé. Cela, à moins que le discours ambiant, au lieu de rappeler les limites inhérentes à la condition humaine, ne cesse de relancer, par ses injonctions à jouir, les fantasmes mégalomaniaques. Juste après sa rencontre avec Candelier, Thomas Zins est pris d’une hésitation : « Au bout du compte, [il] se demande s’il rêve toujours de devenir un écrivain à succès. Pourquoi pas chanteur à succès, plutôt ? Ou alors comédien à succès ? Et pourquoi pas les trois ? Aucune perspective ne doit être écartée à priori. On enferme trop les artistes dans des cases, en France. À moins que, changeant son fusil d’épaule, il ne se lance dans la politique et ne devienne avant ses vingt-cinq ans le plus précoce député que la République ait connu ? Thomas Zins sera en mesure de se forger une opinion une fois qu’il saura laquelle de ces activités permet d’amener dans son pieu un maximum de filles sublimes » (380). La promotion incessante de l’illimité, les perspectives socialement entretenues d’assouvissement total offrent une immense carrière au surmoi oppressif, qui « présente au moi un idéal démesuré de la réussite et de la renommée, et le condamne avec une extrême férocité si celui-ci ne parvient pas à l’atteindre » (pour citer ici La Culture du narcissisme de Christopher Lasch). Le surmoi du petit enfant, qui voulait que l’enfant refoulât certaines pulsions pour ne pas perdre l’amour de ceux dont il dépendait, tirait toute son énergie des pulsions en question – c’était une agressivité retournée contre elle-même. Le surmoi qui dit Jouis ! ramène à une situation comparable, dans la mesure où il accable le moi avec l’énergie des pulsions que lui-même stimule et qu’il lui reproche de pas arriver à satisfaire. Le tribunal n’est plus celui de la loi et de la morale, mais celui de la comparaison avec le moi-idéal grandiose à qui tout devrait réussir.

          Dans la réalité, bien entendu, les choses ne sont pas aussi tranchées. Le surmoi qui ordonne de jouir ne se substitue pas à l’ancien surmoi moral, il s’y ajoute et le concurrence. Chez Thomas, l’attention à un usage correct de la langue (héritage de sa grand-mère qui, à défaut de la religion, lui aura transmis cela), est l’une des manifestations du surmoi à l’ancienne, qui commande le respect des règles. Mais la voix surmoïque de Candelier prend le dessus. Reste à savoir pourquoi.

14. La rencontre avec Céline suscite en Thomas deux mouvements contradictoires. Le premier est un intense désir d’engagement. À Céline il fait cette promesse : « On sera encore ensemble quand tu auras quatre-vingts ans » (281). Juste après, en lui-même, il formule cette prière : « Faites que je garde toujours ma force, pour rendre Céline heureuse. » Si Dieu n’existe pas, en tout cas, il semble qu’à cet instant Thomas s’adresse à lui. Une des scènes les plus émouvantes du roman montre le soin avec lequel Thomas, au Printemps (ex Magasins Réunis), choisit le stylo-plume qu’il offrira à Céline pour son seizième anniversaire. Ce stylo dont Céline rêvait – signe concret du changement radical que Thomas a apporté dans sa vie. Comme elle le dira plus tard : « J’ai obtenu mon bac en écrivant avec le stylo que tu m’as offert et si mes résultats scolaires sont montés en flèche c’est parce qu’à force de sollicitude tu m’as révélée à moi-même, ou alors il ne fallait pas me sortir du ruisseau, comprends-tu ? » (1048).

          Le second mouvement est très différent : maintenant que Thomas a franchi le pas avec les filles, il ne doit pas s’en tenir là ; il doit s’en faire d’autres, un tas d’autres. « Exploser les compteurs, au lieu de rester bloqué sur le chiffre “1” » (381).

          Les deux tendances – s’engager, don juaniser – sont naturelles. La question est de savoir laquelle se trouve encouragée. Le surmoi traditionnel était du premier côté, le surmoi qui ordonne de vivre sans temps mort et de jouir sans entraves est du second. La pauvre arme de Céline, pour s’attacher Thomas lorsqu’elle craint qu’il ne s’éloigne d’elle, est de susciter sa jalousie en inventant des infidélités. La stratégie est dangereuse, car en tourmentant Thomas de cette manière, elle cesse de représenter à ses yeux une exception dans le baisodrome général ; en voulant sauver son amour de cette manière, elle semble elle-même se ranger sous l’étendard de l’injonction à jouir. En bref, le moyen est contradictoire avec la fin. Constatant l’échec de sa stratégie, elle avouera plus tard la vérité à Thomas (quand malheureusement cela ne servira plus à grand-chose) : « Comment aurais-je pu te tromper, moi qui t’aime tant ? Je rêvais d’une vie simple et sage, auprès de toi. Ça me dégoûte, ce sexe omniprésent. Tu ne peux pas t’imaginer à quel point ça me dégoûte » (938).

15. C’est le surmoi jouisseur qui a d’abord conduit Thomas vers Candelier, imaginé en marchepied de sa réussite dans tous les domaines. C’est peu dire que ce fantasme se trouve vite démenti par les faits. Avant la première visite qu’il rend à l’« écrivain » à Paris, Thomas rêvait, niaisement, à une propulsion sur la « scène parisienne » ; il se retrouve dans un appartement exigu et sale, où règne une odeur de renfermé et de pisse de chat (à laquelle on doit ajouter la fragrance du foutre séché, comme on l’apprendra plus tard), et où ne sont présents, en plus de Candelier, que son ami Francis et un certain Valerio, absorbé dans la contemplation d’un écran de télé. À Candelier qui, quelques jours plus tard, lui demandera au téléphone s’il a apprécié cette visite, il osera dire qu’il a été déçu. Candelier le mielleux se métamorphose alors, aussitôt, en Candelier l’outragé qui, tout pourfendeur qu’il soit « du sinistre équilibre, de l’ordre et du devoir » (400), sait jouer sur ce qui reste du surmoi moral pour culpabiliser son interlocuteur. « Alors je t’invite chez moi, je te prépare un gueuleton, je t’offre un cadeau. Avec Francis, on se plie en quatre pour te faire plaisir, et ta façon ne nous remercier, c’est de nous dire que tu es déçu ? […] Ton ingratitude a vraiment quelque chose de révoltant » (531). Puis, sans vergogne, il se présente en victime : « Avec toi, je me sens parfois comme la souris entre les griffes du chat. Tu profites des sentiments que j’ai pour toi. Seulement je suis un hypersensible, moi. À ce jeu-là, je ne tiendrai pas longtemps » (532). Cette façon d’accuser l’autre de ce qu’il commet lui-même est typique de sa perversité. Il a hameçonné Thomas en le laissant croire que, grâce à lui, il allait connaître des célébrités, il le ferre en le culpabilisant d’avoir voulu user de lui comme d’un instrument. Pour Thomas, pas d’autre solution : « Rédiger une lettre d’excuse, sur-le-champ » (532). Pour Candelier, il ne reste plus qu’à mouliner.

16. Il faut l’avouer, Thomas met beaucoup du sien à endosser le rôle de la proie. Quand son ami Benoît Noël voit la photo de Candelier sur la couverture d’Énigme au château, le verdict tombe juste : « Il a l’air malsain » (396). Même son de cloche de la part de son autre ami, Philippe Guler, qui l’a accompagné une fois chez Candelier : « Je ne mettrai plus jamais les pieds chez ce taré » (503). Il est difficile de faire grief à Thomas d’une fragilité morale qui, à son âge, est aussi un corrélat de ses qualités. Comme l’a remarqué Robert Musil (sans doute instruit par son cas personnel) : « Le développement de toute énergie morale un peu subtile commence toujours par affaiblir l’âme dont il sera peut-être un jour l’expérience la plus hardie, comme si ses racines devaient d’abord descendre à tâtons et bouleverser le sol qu’elles sont destinées à mieux fixer plus tard : ce qui explique que les jeunes gens de grand avenir aient un passé tissé d’humiliations » (Les Désarrois de l’élève Törless). Thomas, il le reconnaît lui-même, aurait besoin d’un guide. Un besoin qui se fixe sur Candelier, dont il dit à son ami Benoît : « Ce mec est un maître pour moi » (396). Le malheur est qu’il va effectivement le devenir.

17. Pour pervers qu’il soit, Candelier n’est pas pour autant un monstre de scélératesse. On se rappelle que Thomas, dans la petite fenêtre de lucidité que lui a procuré la piqûre à l’hôpital, a porté le bon jugement : « Candelier le minable devrait lui inspirer plus de compassion que de haine. » Les paroles et les actes de ce dernier n’ont la portée catastrophique qui est la leur (au démolissage de Thomas, il faudrait sans doute ajouter le suicide de Marc Gilleron, l’ancien compagnon de Candelier), qu’en raison de la structure de péché dans laquelle ils s’inscrivent. Il y a le virus, et il y a le terrain qui lui permet de prospérer.

          La famille par exemple. Elle qui aurait dû protéger Thomas, elle reçoit avec complaisance son tourmenteur. Le progressisme dont elle se targue a détruit en elle tous les anticorps qu’elle aurait dû opposer à un Candelier qui, chez elle, parade à sa guise, fait la loi. On dit que le père est celui que la mère désigne comme tel. Or, c’est la mère de Thomas qui, toute fière qu’elle est de tutoyer un « écrivain » parisien, qu’elle a pour projet de faire venir dans sa classe de CM2 (on entrevoit au passage ce que l’« ouverture de l’école sur le monde » peut avoir de désastreux), l’invite à déjeuner lors de son passage à Nancy et, à cette occasion, le désigne par son attitude comme le mâle dominant, le véritable homme de la maison. Au nom de l’homosexualité que celui-ci met en avant et que les convives, de par leur appartenance aux forces de progrès, doivent accueillir avec faveur, Candelier s’ébat en terrain conquis, il peut tout se permettre, y compris débiter quantité d’obscénités. « Oserai-je vous raconter que, dès l’école primaire, je m’allais enfermer aux cabinets pour écouter déféquer mes camarades, à seule fin de fantasmer sur leur imberbe petit cul nu ? » (586). Florence, la sœur aînée de Thomas, ne peut rien dire de son dégoût. Le père, quant à lui, ne doit guère apprécier ce genre de révélation mais, soumis, il se creuse la tête : comment se mettre au diapason du militantisme gay de son invité ? Il finit par extraire de sa mémoire un souvenir de son service militaire en Algérie, où il a été témoin des brimades révoltantes infligées à un soldat homosexuel. En échange de quoi, il reçoit un bon point : « Je vous remercie pour cette anecdote, Serge. Elle fait plus avancer notre cause que bien des discours militants » (584). Pour le reste, il est réduit au rôle d’échanson, servant ses meilleurs vins à Candelier qui n’y prête guère attention, tout occupé qu’il est à pérorer. En ce jour, Serge Zins perd les derniers restes de respect qu’il aurait pu inspirer à son fils. Quand, plus tard, il ordonnera à Thomas de nettoyer sa chambre devenue une porcherie, le souvenir reviendra : comment prendre au sérieux les sommations de « ce tocard, qui se laisse traiter comme une merde à table par cette vieille tapette de Candelier » (1039) ?

          Cette vieille tapette de Candelier… Le temps est venu où Thomas peut bien s’en prendre, in petto, à Candelier : ses injures muettes sont le dérisoire accompagnement de son asservissement. Thomas évoque, chez la psychiatre, la voix qui, en surplomb de lui et quoi qu’il fasse, « aura toujours le dernier mot ». Elle a le dernier mot parce que Candelier, dont elle émane, a de puissants alliés, porte-parole qu’il est d’un idéal d’époque qui dit qu’il faut être soi-même, indépendamment du « qu’en dira-t-on ». Lorsque, dans sa première lettre à Thomas, il écrit qu’il faut se débarrasser « des carcans, tabous et des idées reçues et des tabous » (400), il adopte le ton de la confidence pour dire ce qui se proclame partout.

18. Lors de la soirée de Noël passée dans ce qu’il appelle son « antre », rue de Paradis, Candelier introduit dans le magnétoscope la cassette d’un film pornographique que, dit-il, il s’est « marré comme un fou à tourner » (486). La brusque découverte d’ébats sexuels filmés en gros plan, même s’ils mettent en scène deux hommes, provoque chez Thomas une érection carabinée. De cette réaction, Candelier va se saisir avec gourmandise. On sait qu’il n’aime pas beaucoup les « bi », dont il juge la position trop facile – selon lui, « il faut choisir son camp » (483), hétéro ou gay (ce sont ses catégories structurantes). Au lieu de considérer Thomas comme un hétéro, chez qui des images homosexuelles peuvent produire une excitation, il va insinuer l’idée que l’adolescent est un homosexuel qui se ment à lui-même. Candelier actionne violemment ce levier lorsque Thomas, au téléphone, semble prendre ses distances : « Maintenant que tu as retrouvé ton confort de petit hétéro bourgeois, tu préfères oublier ce que tu as découvert sur toi-même à Paris (nous soulignons), hein ? Écoute, je me suis trompé sur toi. Oublie Rimbaud, oublie la littérature, oublie tout ça. Reste dans ta province, deviens fonctionnaire comme papa, épouse bobonne et fais-lui des mioches » (531-532). Pour Thomas, les hontes se cumulent : celle de s’être montré ingrat envers son prétendu bienfaiteur, et celle de passer pour un refoulé, qui préfère mener une vie rangée plutôt que de s’avouer ses vrais désirs. Dans une inversion grotesque, la hantise du refoulement fait passer ce qui est marginal (avoir eu une érection devant un film pornographique gay) pour central, et ce qui est central (la vie avec Céline, le désir pour les filles) pour une pitoyable tentative de se tromper soi-même. Ce n’est pas l’exception qui confirme la règle, mais l’exception qui se trouve investie de la force de la règle. À ce compte, Thomas en vient logiquement à conclure : « En réalité, tout le monde est pédé. Tout le monde, tout le monde. Simplement, certains le savent et d’autres l’ignorent » (650). Thomas envie ceux qui l’ignorent, et qui mourront sans jamais l’avoir découvert, parce que seule une telle ignorance lui aurait permis de vivre avec Céline.

19. Le sujet moderne s’appréhende comme un « moi » plongé dans un milieu extérieur nommé « société ». « L’“intériorité” est ressentie comme ce que l’on est par “nature” ; et ce que l’on est ou ce que l’on fait dans le rapport avec les autres apparaît comme quelque chose qui est imposé “de l’extérieur”, un masque ou une enveloppe que la “société” poserait sur le “noyau intérieur” de la “nature” individuelle » (Norbert Elias, La Société des individus). Dès lors, être soi-même, c’est arracher le masque que la société a collé au visage pour exprimer sa vraie nature.

          La psychanalyse a fait fond, pour se constituer, sur cette opposition entre individu et société que, en retour, elle n’a fait que renforcer. C’est elle qui a popularisé la notion de refoulement, avec une idée dominante : le refoulement est mauvais. Dire de quelqu’un qu’il est refoulé, c’est dire qu’il est un être souffrant doublé d’un pauvre type. Pourquoi les gens se sentent-ils mal ? Parce qu’un surmoi persécuteur, agent de la société en eux, leur interdit de réaliser leurs vrais désirs, ou les culpabilise atrocement s’ils passent outre ses commandements. Ils deviennent névrosés. Si la psychanalyse est là pour aider le sujet à devenir lui-même, et que ce qui l’en empêche est le surmoi placé en lui par la société, telle une garnison dans une ville conquise, alors la psychanalyse est une alliée du sujet dans ses efforts pour jeter le surmoi par dessus bord. Inutile d’objecter que la psychanalyse est bien autre chose : ce dont il est question ici est ce qui en a percolé dans les représentations courantes. D’où l’image que s’en fait Thomas. D’un côté, sa situation devrait le pousser à entamer une analyse : il est dans la position du névrosé travaillé par un désir profond – vivre avec Céline –, qu’une voix en surplomb l’empêche de réaliser – une voix qui lui dit que ce serait refouler son homosexualité. D’un autre côté, si combattre le refoulement est précisément ce que la psychanalyse est censée faire, alors elle tiendra le même discours que Candelier ! C’est pourquoi Thomas imagine qu’une analyse, au lieu de lui permettre d’objecter à la voix qui le domine et le moque, ne ferait que redoubler celle-ci – et que le psychanalyste de ses songes se superpose à Candelier lui-même. Résultat, il s’abstient. « Il préfère rester malade auprès de Céline qu’être sain d’esprit loin d’elle » (1020).

20. Il est sujet à de telles angoisses que, malgré tout, il se résout à aller consulter une psychiatre. Elle le trouve en si mauvais état qu’elle lui prescrit, en renfort de la cure psychothérapeutique, des antidépresseurs, qu’il se garde de prendre : « Thomas Zins, qui n’ignorait pas qu’une fois rétabli grâce aux médicaments, il n’aurait plus peur de se débarrasser des tabous, carcans et idées reçues, évita ce piège grossier et refusa d’ingurgiter des cochonneries qui l’auraient mené tout droit au Synonyme, la fameuse boîte gay nancéienne, située rue de la Visitation » (1066-1067). Et dans ce cas, adieu définitif à Céline ! Pourtant la psychiatre, au contraire du psychanalyste de son imagination, est loin de se ranger du côté de Candelier. À force de persévérance, elle amène Thomas à parler de celui-ci. Cependant, quand elle signale que ses rapports sexuels avec des mineurs de moins de quinze ans sont illégaux, c’est Thomas qui se dérobe : en même temps qu’il aurait besoin qu’on l’aide à dégommer Candelier, l’emprise de celui-ci est si forte qu’il ne peut pas supporter qu’on y porte atteinte.

21. Rétrospectivement, on se dit que le destin de Thomas et Céline s’est joué en février 1985, lorsque Céline s’est retrouvée pour la première fois enceinte. Au moment où Thomas a annoncé la nouvelle à sa mère, il a vu le visage de celle-ci se figer. « Elle a reculé d’un pas, comme si son fils l’avait giflée. “Oh, non, c’est pas vrai, il nous a fait ça ! Ce n’est pas possible qu’il nous ait fait ça !” En gage de résipiscence, Thomas a baissé les yeux. “Mais à quoi ça sert qu’on leur donne des cours d’éducation sexuelle ? Ils ont tous les moyens de s’informer et ils ne s’en servent pas, ces idiots !” » (536-537). Pas un instant, il n’a été question d’accueillir cet enfant. « Ils avaient leur bac à passer, leurs études à réussir, leur vie à construire. Se mettre, si jeune, un enfant à charge sur les bras relèverait de la folie » (537). Les parents de Céline, de condition modeste, étaient quant à eux encore pénétrés d’une ancienne morale, qui tenait pour un terrible déshonneur la grossesse d’une fille non mariée. À ceci près que là où cette ancienne morale considérait l’avortement comme un crime plus terrible encore, et recommandait une union rapide pour arranger les choses, l’avortement apparaît désormais comme la solution évidente. Sur des bases différentes, les deux familles arrivent à la même conclusion.

          Nous sommes à l’exact centre du roman. Le jour où Céline doit aller à l’hôpital, Thomas, soudain, se rebelle : « Impossible. À aucun prix, sous aucun prétexte, Céline ne doit avorter » (548). Il court à perdre haleine derrière le bus où, croit-il, se trouvent Céline et son père. Thomas ne le sait pas (ou peut-être le pressent-il ? peut-être est-ce cela qui, le matin du jour fatidique, l’a réveillé en sursaut ?), mais ce n’est pas seulement pour sauver la vie de l’enfant de Céline et lui qu’il court ; c’est aussi pour sauver la sienne propre de la ruine. Le véhicule a pris trop d’avance pour qu’il puisse le rattraper, mais le trajet fait un détour et, en coupant, Thomas parvient à rejoindre le bus à son terminus. Céline et son père ne sont pas dedans. Ce matin-là, Andrée Schaller a conduit son mari et sa fille en voiture.

          On peut penser que de toute façon, Thomas n’aurait pas eu gain de cause. Pour les adolescentes, l’avortement n’a pas seulement été légalisé, il a pratiquement force de loi.

22. Au début du livre, nous sommes en 1983. François Mitterrand est président de la République depuis deux ans, à la grande satisfaction des parents Zins et de leur fils Thomas, plutôt exalté sur le coup. Un effort considérable est à produire pour se rappeler qu’à l’époque, un enthousiasme de ce genre était assez répandu. « Tout devient possible ici et maintenant », « changer la vie », tout ça… Des espoirs à peu près aussi vains et incongrus que ceux placés par Thomas en Candelier. Certes, dans les années 1980, la vie a changé, mais pas exactement de la manière escomptée. L’accession au pouvoir du parti socialiste devait, selon son hymne, « libérer nos vies des chaînes de l’argent » : on parle aujourd’hui de la décennie 80-90 comme des « années fric ». Quoi qu’il en soit, en 1981, Mitterrand avait fait appel pour sa campagne au publicitaire Jacques Séguéla. Parce qu’on ne change pas une équipe qui gagne, en 1988, il s’en remit au même qui, à « La force tranquille », fit succéder la « Génération Mitterrand ». Le vieux président, hors champ, jouait au père de la nation, conduisant par la main un petit enfant au regard confiant et émerveillé vers l’avenir.

Generation mitterrand

Le problème, c’est qu’à ce moment, Céline a été deux fois enceinte et a deux fois avorté. Les enfants de Thomas et Céline n’appartiennent pas à la génération Mitterrand, pour la bonne raison qu’ils ne sont pas nés. Thomas lui-même, a-t-il atteint le XXIe siècle ? Céline le suppose : « Je l’aurais appris, s’il était mort » (1096). Néanmoins, quand bien même aurait-il fini par trouver les moyens de survivre, il n’aura pas rempli sa mission sur cette terre, qui était de rendre Céline heureuse.

23. La révolution a profité à certains, c’est indéniable. Elle a aussi nui à beaucoup. Un massacre à grande échelle, largement ignoré. André Gide avait ses chagrins : « Je me penche vertigineusement sur les possibilités de chaque être et pleure tout ce que le couvercle des mœurs atrophie. » Combien de larmes les populations n’ont-elles pas été invitées à verser au cours du siècle écoulé, à jet continu, sur les fleurs magnifiques que le maudit couvercle des mœurs empêche d’éclore. Pas une goutte, en revanche, sur les jardins que la libéralisation des mœurs ravage. Déjà, il faudrait les reconnaître, les ravages. Pouvoir mettre des noms dessus. Le Triomphe de Thomas Zins permet de le faire. Eu égard à la déchéance du personnage éponyme, le titre sonne comme une antiphrase. Eu égard à l’entreprise de Matthieu Jung, à tout ce que, personnellement et littérairement, elle impose de surmonter, le titre doit se prendre au premier degré – il a fallu à l’auteur triompher de Thomas Zins.

24. De nombreux aspects du roman n’ont pas été abordés. Le personnage de Daniel, entre autres, aurait mérité quelque attention – défiguré par des militants juifs pour son activisme antisémite et révisionniste, puis trafiquant de vidéos pédopornographiques tournées dans les pays du tiers-monde, il traverse l’histoire comme un spectre. Il aurait également fallu évoquer le viol de Céline, même pas quatorze ans, par Ahmed, dans la cave de l’une des barres de la cité des Provinces – un genre d’événement beaucoup moins susceptible d’attirer l’attention que les privautés de réalisateurs de cinéma avec de jeunes actrices. Mais on ne saurait tout dire. En guise de coda, je me contenterai d’évoquer un passage bizarre. En ce mois d’août 1987, Thomas et Céline rejoignent, en voiture, les parents Zins en vacances sur la côte charentaise. « Les voici sur la route de la Fouasse, une longue ligne droite le long de laquelle Thomas, sur son vélo, piquait des pointes de vitesse dans le style de Joop Zoetemelk, ce Néerlandais qui a plusieurs fois porté le maillot vert de meilleur sprinter à l’arrivée du Tour de France. Thomas baisse la manette du clignotant, pénètre dans le camping du Val-Vert » (974). Pourquoi ce passage est-il bizarre ? Premièrement, Zoetemelk n’était pas un sprinter, et n’a jamais ramené le maillot vert du Tour de France à Paris. Ensuite, il y a plusieurs campings le long de la route de la Fouasse, mais le camping du Val-Vert est à une quinzaine de kilomètres de là. Bon, on sait que Tolstoï a commis une erreur de calendrier au début d’Anna Karénine, qui selon certaines indications commence un vendredi, selon une autre un jeudi. Quelle importance, si Joop Zoetemelk remplace Freddy Maertens, et si le camping du Val-Vert n’est pas au bon endroit ! Quelle mesquinerie, de s’attacher à des détails aussi insignifiants ! Bien sûr, bien sûr. Quand même, deux inexactitudes factuelles coup sur coup… J’ai pensé aux tisserands musulmans, qui introduisent volontairement de petits défauts dans les motifs de leurs tapis, pour ne pas prétendre concurrencer la perfection divine. J’ai pensé, également, au statut de la voix qui s’exprime au fil du roman. Comme il a déjà été signalé, elle n’en dit pas plus, sur les personnages qu’elle suit, que ce que les personnages sont eux-mêmes capables de se dire. Cela étant, tout en s’attachant principalement à Thomas, elle fait aussi des incursions dans les pensées de Céline, dans les désarrois de Serge Zins. De ce fait, on pourrait être tenté de la confondre avec celle d’un narrateur, sinon omniscient, du moins ubiquitaire, qui nous mettrait directement en contact avec la vérité. La faillibilité dont elle fait preuve vient rappeler au lecteur attentif qu’il n’en va pas ainsi. Invitation nous est faite à ne pas recevoir ce que nous lisons comme le réel, mais comme ce que quelqu’un nous en raconte – dont les erreurs mêmes authentifient le témoignage. L’histoire de Thomas Zins, selon Matthieu Jung.

 

Une version abrégée de ce texte a paru dans le cent deuxième numéro de L'Atelier du roman.

Je remercie Olivier Rey et Lakis Proguidis.